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Par Françoise Ladouès

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Ces articles ont pour objectif d’apporter quelques connaissances claires, essentiellement historiques et exégétiques, débarrassées des idées toute faites qui circulent et sont souvent des relents d’un ancien catéchisme mal enseigné ou mal compris.


Ils sont parfois accompagnés de références permettant de poursuivre un travail sur les sujets qu’ils abordent.

Vestiges de la ville romaine de Beit Shean (Galilée du sud) (©Françoise Ladouès)

Liste des articles

01  L'archéologie contredit-elle la bible ?


02 Jésus a-t-il existé ?


03 Qui a écrit les évangiles ?


04 Jésus a-t-il fondé la religion chrétienne ?


05 Les premières communautés chrétiennes


06 Que peut-on dire de la vie de Jésus ?


07 La chute du Temple de Jérusalem (70)


08 Jésus a-t-il fait des miracles ?


09 Pierre, apôtre inconstant et pourtant martyr


10 Comment Simon est-il devenu Pierre ?



Les articles


Article 10

Comment Simon est-il devenu Pierre ?

La figure de Pierre est très connue dans la tradition chrétienne. On sait généralement qu’il était le premier des apôtres et l’ancêtre des papes, voire le premier pape1. Mais nous avons historiquement assez peu de renseignements sur l’homme qu’il a été. Nous le connaissons essentiellement par les évangiles canoniques et les Actes des Apôtres mais aussi par les épîtres de Paul, les Pères apostoliques et la littérature apocryphe.

Maison de Pierre à Capharnaüm (© Françoise Ladouès)

Initialement Pierre s’appelait Simon. Le premier évangile, chronologiquement, qui nous informe de ce surnom est celui de Marc, quand il donne la liste des douze : « Il (Jésus) établit les douze : Pierre - c’est le surnom qu’il a donné à Simon -, Jacques… » (Mc 3, 16). Marc n’éprouve pas le besoin d’expliquer cette re-nomination. Il est vrai qu’il arrivait, dans l’Empire romain, qu’un juif reçoive un nom latin à côté de son nom araméen. Mais il est étonnant que ce soit Jésus qui lui ait donné un surnom. Ce surnom c’est Képhas, mot araméen qui signifie pierre ou rocher. Il restera employé pour parler de lui par les premiers chrétiens, mais il a été traduit en grec par le mot Petros puis en latin par Petrus ce qui donne en français Pierre. C’est ce nom qui va s’imposer. Initialement, Petros n’était pas un nom propre mais il va devenir ainsi un prénom chrétien. Clairement, il évoque la solidité. Est-ce parce que Pierre avait la tête dure, était têtu ? Ou parce que Jésus avait perçu qu’on pouvait compter sur lui ?...


Jean place au début de son évangile le moment où ce nom lui est attribué : « Il (André) va trouver, avant tout autre, son propre frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie -ce qui signifie Christ- ». Il l’amena à Jésus. Fixant son regard sur lui, Jésus dit : « Tu es Simon, le fils de Jean ; tu seras appelé Képhas - ce qui veut dire Pierre - » (Jn 2, 41-42). Marc, Matthieu et Luc situent plus tard ce changement de nom. Notons que seul l’évangile de Matthieu explique le sens et les conséquences du jeu de mot : « Et moi je te dis : tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18) ».

Il était évidemment important que les premières communautés chrétiennes voient l’enjeu de ce changement de nom : la place fondamentale, c’est-à-dire de fondation, à laquelle Jésus plaçait Pierre. Et l’insistance de Matthieu manifeste cette importance ; elle met en lumière une option de son évangile pour la vie de la communauté matthéenne. Mais de toute façon les quatre évangiles, quand ils donnent la liste des apôtres, citent toujours Pierre en premier, alors que l’ordre de nomination change pour les autres ; enfin, c’est Pierre encore qui apparaît le plus souvent dans les épisodes relatés.


Bibliographie :

Pierre GIBERT : Simon Pierre, apôtre et compagnon, Bayard, 2001

www.mondedelabible.com ; ebook : Pierre une figure complexe


1
On trouve souvent le nom de Pierre en premier dans la liste des papes. C’est une prise de décision théologique catholique, pour signifier la succession apostolique et dire que le pape est le successeur de Pierre. Cependant, historiquement, Pierre n’était même pas « évêque » puisqu’il est « apôtre » et que l’on a appelé « évêques » les successeurs des apôtres. Quant à la fonction de « pape », elle n’a commencé à exister, au sens actuel de ce mot, qu’au VIème siècle.

Article 09

Pierre, apôtre inconstant et pourtant martyr

Nous connaissons essentiellement Pierre par les évangiles canoniques et les Actes des Apôtres mais aussi par les épîtres de Paul, les Pères apostoliques et la littérature apocryphe. Dans ces sources, il n’est jamais présenté pour lui-même : dans les évangiles, le personnage principal est Jésus, et Pierre n’est cité que par rapport à lui. Dans les Actes des Apôtres il a un rôle central, du moins au cours de la première partie, mais ce qu’il dit et fait est toujours exprimé dans son rapport à Jésus ainsi qu’au service de la description de la chrétienté naissante. Sa place dans la hiérarchie est mise en lumière, bien plus que sa personne.

Statue de Saint Pierre, Rome (© Françoise Ladouès)

Tous les évangiles présentent Pierre comme le premier apôtre choisi par Jésus. L’évangile de Jean apporte une précision : Pierre, avant de rencontrer Jésus, était disciple de Jean Baptiste : « Le lendemain, Jean [Baptiste] se trouvait de nouveau au même endroit avec deux de ses disciples. Fixant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu ». Les deux disciples, l’entendant parler ainsi, suivirent Jésus » (Jn 1, 35-37). Nous comprenons ainsi que Jésus, qui fut lui-même disciple de Jean, a entraîné à sa suite d’autres disciples du Baptiste, dont Pierre. Cet épisode nous montre que ce dernier était déjà habité par une recherche spirituelle. Pêcheur de son métier, c’était aussi un juif tourmenté par le type de pratique de son époque, sans doute contestataire du culte établi puisqu’il suivait Jean qui prêchait un baptême de conversion. Pierre était un homme prêt à s’engager.


D’après les évangiles, Pierre est né à Bethsaïde en Galilée et on le connaît sous le nom de « Fils de Jean » ou de « Fils de Jonas ». Une anecdote montre son origine galiléenne : il sera reconnu à son accent au moment de la Passion de Jésus. Il est marié –nous le savons car les évangiles synoptiques racontent, chacun à leur manière, comment Jésus a guéri sa belle-mère- et il exerce le métier de pêcheur (Lc 5, 7). Il reste pêcheur pendant tout le temps où il suit Jésus ; les évangiles notent souvent l’utilisation des barques pour la pêche et pour les déplacements. Il vit à Capharnaüm, au bord du lac de Génésareth, d’ailleurs les synoptiques montrent Jésus dans cette ville, s’installant chez Pierre comme chez lui. Pierre a un frère, André qui accompagne aussi Jésus. C’est lui qui, dans l’évangile de Jean, le conduit à Jésus (Jn 1, 35-42).

La personnalité de Pierre est complexe. Généreux et enthousiaste, il lui arrive d’être présomptueux. Une nuit, alors que Jésus arrive en marchant sur l’eau et que les autres apôtres manifestent leur panique, il demande à Jésus de lui ordonner de marcher, lui aussi, sur l’eau. A son appel il tente de le rejoindre mais prend peur et entend Jésus lui dire : « Homme de peu de foi ». Plusieurs fois il affirme à son maître qu’il ne le reniera jamais : « Même s’il faut que je meure avec toi, non je ne te renierai pas » (Mt 26, 35 et Mc 14, 31) ; pourtant, à la veille de sa mort, au Jardin des Oliviers, il s’endormira au lieu de veiller comme il le lui avait demandé. Et pendant la Passion, par trois fois, il dira, alors que Jésus est arrêté, qu’il ne le connaît pas. Le reniement de Pierre est attesté par les quatre évangiles et semble être un moment clef que toutes les communautés chrétiennes ont retenu : Pierre trahit mais Pierre reste l’appelé en qui Jésus a confiance.


Néanmoins il semble avoir eu quelques heurts avec son maître. Après qu’il eut reconnu en Jésus le Christ, ce dernier annonce qu’il va souffrir beaucoup et mourir ; alors, Pierre « le réprimande » nous disent les évangiles. « Derrière moi, Satan » (Mt 16, 23 et Mc 8, 33) réagit Jésus, obligé de rappeler à Pierre qu’il n’est que le disciple.


Bibliographie :

Pierre GIBERT : Simon Pierre, apôtre et compagnon, Bayard 2001

www.mondedelabible.com ; ebook : Pierre une figure complexe

Article 08

Jésus a-t-il fait des miracles ?

N'est-ce pas une invention de la religion pour faire croire en lui ?

Oui, Jésus a fait des miracles. Mais ils ne sont pas destinés à faire croire en lui. A l’époque de Jésus, faire des miracles était normal de la part de quelqu’un qui avait autorité. La médecine d’alors, les croyances, et le rapport qu’entretenaient les gens avec le surnaturel n’ont rien de commun avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Les sources anciennes nous donnent de multiples exemples d’auteurs de miracles, chez les Grecs et les Romains comme chez les Juifs. Il eut été anormal, voire impossible, qu’un homme ayant le charisme de Jésus n’en fasse pas.

Vestiges de la piscine de Béthesda (Jn 5, guérison d’un paralytique)

(© Françoise Ladouès)

Les évangiles s’inscrivent donc dans cette ligne et nous rapportent beaucoup de miracles de Jésus, parmi lesquels sont particulièrement célèbres les guérisons. Leur réalité, au sens de l’époque, paraît difficilement contestable. D’ailleurs personne ne lui conteste, dans son entourage, sa capacité à faire des miracles. Pas même ses ennemis. Ce dont on l’accuse, c’est de les faire au nom du chef des démons et le jour du sabbat.

Ces miracles, l’auteur du 4ème évangile les appelle « signes ». Même si ce terme est peu employé dans les autres évangiles, tous les présentent comme signes du Règne de Dieu et non comme preuve de la puissance ou de la divinité de Jésus. Ils s’adressent à des personnes ayant déjà manifesté une foi en Dieu, même minime : « Ta foi t’a sauvé ».


Ceci dit, nos contemporains ont des attitudes diverses face aux « miracles » antiques (pas seulement ceux de Jésus).

Certains ont tendance à y croire alors que d’autres sont très perplexes quant à la crédibilité qu’on peut leur accorder. Bien des croyants d’ailleurs pensent que Dieu respecte la nature et n’intervient pas arbitrairement dans l’organisation de ce qui naturel. Il n’est évidemment pas possible de parler à ce sujet d’objectivité historique. Mais ce qui importe dans les évangiles, n’est pas l’évènement que constitue chaque miracle. Nous ne saurons jamais ce qui s’est passé à ce fameux repas dont les convives sont sortis rassasiés, laissant comme restes douze corbeilles de pain, alors qu’il n’y avait au début que quelques pains et quelques poissons. Ce qui importe, c’est ce que dit chaque auteur à travers les différents miracles de Jésus relatés : le Royaume de Dieu déjà là. Ainsi, même si les miracles ont un rôle décisif dans la prédication de Jésus, ils ne sont en aucun cas des preuves de sa puissance voire de sa divinité et ils ne se présentent d’ailleurs jamais comme cela.

Article 07

La chute du Temple de Jérusalem (70)

Cet événement, essentiel dans la guerre qui a opposé les Romains aux Juifs entre 66 et 73, a eu une influence considérable sur l’évolution du judaïsme et du christianisme naissant.

Maquette de Jérusalem et de son Temple (© Françoise Ladouès)

En 63 avant notre ère, Rome établit sa domination sur l’ensemble de la Palestine. La Judée (où se trouve Jérusalem) devient une province romaine en l’an 6 de notre ère. Quant à la Galilée (terre de naissance de Jésus), elle est administrée par un roi local, aux ordres de l’empereur romain. En Galilée, les populations souffrent de l’occupation romaine et la région est instable au point de vue politique. En Judée, le peuple est généralement très hostile à l’occupant romain tandis que certaines catégories, souvent riches, collaborent plutôt avec le pouvoir officiel. Ainsi, les relations sont tendues de façon constante entre Juifs et Romains.


Au cours du Ier siècle, à Jérusalem, les grands prêtres reprennent peu à peu un rôle politique, beaucoup se révoltent contre les Romains pour reconstituer une nation indépendante. Rome réagit par la campagne militaire de Vespasien, qui est envoyé en Syrie pour rétablir l’ordre. En 67, Flavius Josèphe, un des chefs de la révolte juive, est fait prisonnier. Il écrira alors l’histoire de cette guerre et laissera à la postérité « La Guerre des Juifs contre les Romains ».

En 69, Vespasien est proclamé empereur. Il rentre donc à Rome et laisse Titus, son fils, poursuivre sa campagne. Titus, en 70, fait le siège de Jérusalem. La ville est prise et le Temple incendié le 29 août. Les Juifs doivent alors massivement s’exiler. La dernière résistance se poursuit sur le plateau de Massada dont le siège se termine en 74 par le suicide collectif des quelques mille résistants.


Dès les débuts de la révolte, la communauté chrétienne de Jérusalem avait quitté la ville pour aller à Pella, de l’autre côté du Jourdain. De son côté, privé du Temple, le judaïsme se réorganise peu à peu à Jamnia autour de la tendance pharisienne. Cette nouvelle organisation, au cours de laquelle les Juifs doivent « serrer les rangs » et faire « front commun », donne de lui une vision monolithique, très différente du judaïsme aux formes variées, qui se caractérisait par la multiplicité des courants et le dialogue. Désormais il marque clairement son opposition aux sectes antérieures et particulièrement aux chrétiens. La coupure entre Juifs et Chrétiens semble inéluctable. Parmi les chrétiens néanmoins, certains conservent des pratiques juives. On les appelle les judéo-chrétiens.

Article 06

Que peut-on dire de la vie de Jésus ?

Ce que nous connaissons de la vie de Jésus nous est transmis par les évangiles. Or ces textes ne sont pas des biographies au sens moderne de ce mot. Leurs auteurs veulent avant tout proclamer que Jésus Christ est sauveur. Toutefois ils nous donnent un certain nombre d’indications sûres concernant la vie de Jésus.

Lac de Tibériade (© Françoise Ladouès)

Jésus est un Juif, né en Palestine aux environs de 6 avant notre ère, c’est-à-dire 6 avant Jésus Christ ! Le décalage de date est dû à une erreur du moine Denys le Petit qui, au VIème siècle, numérota les années à partir de la naissance de Jésus.


Il passe son enfance et sa jeunesse à Nazareth, en Galilée, petite province de l’Empire romain, assez éloignée de Jérusalem, la ville sainte. Les évangiles qui parlent de son enfance (évangile selon Matthieu et évangile selon Luc) disent qu’il est né à Bethléem, en Judée. Beaucoup d’historiens pensent qu’il est plutôt né en Galilée. La Palestine comprenait plusieurs territoires, tous administrés par Rome mais avec des statuts différents (Galilée, Samarie et Judée).


Il vit dans une famille d’artisans, dans un milieu social que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de classe moyenne. Il apprend le métier de charpentier qu’il exerce jusque vers trente ans ; il quitte alors Nazareth. A cette époque il n’était pas rare que des prédicateurs populaires parcourent les chemins. Pendant un temps, il se fait le disciple de l’un d’eux, Jean Baptiste : contestataire du culte établi, Jean proclamait un baptême de conversion. Jésus se lance ensuite lui-même dans une activité publique de prédication. Le peuple lui attribue souvent le titre de prophète. Comme d’autres rabbis (maîtres), il commente la torah (loi juive) et a un cercle de disciples, pratique des guérisons et des exorcismes et tient un discours de sagesse. Il se caractérise en particulier par l’attention qu’il porte aux plus démunis et sa conviction de la venue imminente de ce qu’il appelle « le royaume de Dieu ».

Sans doute après deux ou trois ans de prédication en Galilée, Jésus va à Jérusalem. Arrivé sur l’esplanade du Temple, il fait un scandale, chassant violemment les changeurs de monnaie et les marchands de la zone qui leur était réservée : c’est le seul acte de violence physique que l’on connaisse dans sa vie. Les grands prêtres et les scribes, garants du caractère sacré du Temple, voient en lui un danger. Par ailleurs, ils ne peuvent pas supporter l’attitude que Jésus manifeste constamment dans ses discours, attitude qu’ils perçoivent comme une opposition à la Loi de Moïse : « Vous avez appris qu’il a été dit… mais moi je vous dis ». A partir de ce moment, les autorités juives cherchent à mettre fin à son activité. Elles le dénoncent aux Romains pour qu’ils l’arrêtent. Nos sources ne nous permettent pas de connaître les termes exacts du procès : qu’a-t-on exactement reproché à Jésus ? Y a-t-il eu d’abord un procès devant les autorités juives ? Ce qui est sûr c’est que Jésus a été condamné à mort par l’autorité romaine (le préfet Ponce Pilate) sur dénonciation juive.


Jésus est mort crucifié, après avoir été battu de verges. C’était le supplice qu’infligeaient les Romains aux coupables de « haute trahison envers l’Etat ». La date de sa mort est l’élément pour lequel nous avons le plus de renseignements. Selon les sources, plusieurs hypothèses sont envisageables. La plus plausible semble être le 7 avril 30.


Bibliographie pour commencer :

Françoise LADOUES, Jésus qui est-il ? Approche culturelle, Nouvelle Cité 2014

Michel QUESNEL, Jésus l’homme et le fils de Dieu, Flammarion 2004

Article 05

Les premières communautés chrétiennes

Ce qui caractérise les disciples de « Christ » dès les origines, c’est leur répartition en petites communautés de « croyants », diverses et complexes dans leur composition et dans leurs courants de pensée. Il vaut mieux d’ailleurs appeler « disciples » les membres de ces premières communautés ; le terme de « chrétiens » n’est apparu que plus tardivement.

Monument à la mémoire de la mission de Paul à Bérée, Macédoine

(© Françoise Ladouès)


Monument à la mémoire de la mission de Paul à Bérée, Macédoine

(© Alain Dagron)

La première génération de disciples est celle des apôtres. Elle va de Pâques, donc environ de l’an 30 de notre ère, à la mort des apôtres (Jacques en 62, Pierre en 64). Très vite, cette génération est éclatée au moins en deux groupes, reproduisant le clivage culturel qui caractérisait les juifs de cette époque. D’une part les judéo-chrétiens de Jérusalem, parlant l’araméen, très attachés au Temple, continuent à pratiquer le judaïsme avec assiduité, sous la conduite de Jacques, le « frère de Jésus ». Les Actes des Apôtres les appellent «hébreux ». Jusqu’en 70, ils consacrent leur temps à la prière. Ils ne négligent pas pour autant la « mission ». Dans les Actes des Apôtres (Ac 2, 9-11), Pierre s’adresse à toutes les nations connues à l’époque. Ainsi la Mésopotamie, l’Egypte et la Cyrénaïque ont dû connaître la présence de chrétiens. Par ailleurs, un autre groupe se forme à Antioche, fondé par les hellénistes de Jérusalem (Ac 6, 1). Les hellénistes sont des juifs de langue et de culture grecque, issus de la diaspora. Parmi eux certains ont reconnu Jésus comme Christ. Leur chef était Etienne dont parlent les Actes des Apôtres et qui fut le premier martyr chrétien. Ce groupe développe une mission très active auprès des païens, c’est-à-dire des habitants de la région qui n’étaient pas juifs.


La deuxième et la troisième génération, de 50 à 90, voient naître de plus importants clivages entre les chrétiens. A Jérusalem, les judéo-chrétiens s’opposent très durement aux autres juifs, surtout après 70. En effet, avec la prise de Jérusalem par les Romains et la chute du Temple, le judaïsme dut, pour se relever, se durcir. La position des judéo-chrétiens devint donc difficile à tenir et ils eurent tendance à se fermer sur eux-mêmes, alors que dans l’Empire, le christianisme se développait de plus en plus, particulièrement en dehors du monde juif. Et ce christianisme était volontiers missionnaire.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer les voyages de Paul au cours duquel il créa de nouvelles communautés. A cette époque se diffusent dans la lignée de Paul et des hellénistes les évangiles de Marc (vers 70), de Matthieu (vers 80) et l’ensemble de l’œuvre de Luc (évangile et Actes des Apôtres). Ces textes pénètrent dans tout le monde grec et vers Rome. A la fin du siècle, à Ephèse, une autre tradition est à l’origine de l’évangile de Jean et se répand dans cette région de l’Asie mineure.


Il est difficile de nommer précisément toutes les régions touchées par la nouvelle foi. Mais, il est certain qu’à la fin du Ier siècle, il y avait des chrétiens à peu près partout dans le monde méditerranéen. La plupart des villes d’orient en comptaient parmi leurs membres: Jérusalem, Athènes, Corinthe, Alexandrie, Philippes, Ephèse. En occident, la ville de Rome est la seule où nous sommes sûrs de la présence chrétienne. Ceci dit, cette présence dans l’Empire était seulement urbaine. Les campagnes restèrent à l’écart du mouvement.


Reste la question : combien ? Donner des chiffres un tant soit peu fiables est impossible dans l’Antiquité. Cependant on peut avancer avec certitude que les chrétiens étaient peu nombreux. Les conversions se faisaient de bouche à oreille, à l’intérieur des familles et des maisonnées, et les communautés chrétiennes ne sont réellement attestées qu’en ville. Les historiens estiment que même au IVème siècle, au moment où l’Empire deviendra officiellement chrétien, leur nombre ne dépassera pas dix pour cent de la population totale.

Article 04

Jésus a-t-il fondé la religion chrétienne ?

On aime généralement trouver un fondateur à chaque religion, par exemple Mohammed pour l’Islam, ou Moïse pour le Judaïsme. Pourtant, ce n’est pas si simple… Qu’en est-il pour la religion chrétienne ?

Dévôt Christ de Perpignan (début XIVème s) (© Françoise Ladouès)

Jésus était juif. Né dans la religion juive, il y vécut et y mourut. Il eut souvent des désaccords et des querelles avec ses coreligionnaires, en particulier à propos de l’application de la Loi, la Torah, mais à aucun moment il ne rompit avec sa religion. D’ailleurs cette position était courante dans le

judaïsme de son temps qui se caractérisait par un foisonnement de mouvements et de tendances parfois opposés, et une culture de débat entre tous ces groupes. Mais Jésus refusait un débat d'idées avec les représentants des différentes tendances de la religion juive. Il affirmait que ses pratiquants détournaient la loi de Moïse au service d'une religion qu'ils fabriquaient à leur profit : ce faisant, ils n'entendaient pas à travers cette loi la Parole de Dieu. Ainsi rassembla-t-il autour de lui un groupe de personnes, les apôtres, douze pour symboliser les douze tribus d’Israël, pour l'annonce du renouvellement et de la transformation des pratiques du judaïsme.

Mais il échoua. Jésus est condamné à mort et meurt, délaissé à peu près par tout le monde.

Or, après sa mort, un certain nombre de ceux qui l’avaient connu pendant sa vie, et particulièrement les apôtres, connurent une expérience qui leur fit dire qu’il était vivant, ressuscité. Ce fut pour eux le signe que Dieu était avec Jésus et qu’il fallait continuer l’œuvre qu’il avait commencée. Ils se mirent alors à proclamer leur foi en Jésus, Christ (c’est-à-dire Messie) ressuscité, et à tenter de faire perdurer son action. Leur groupe grandit alors, toujours au sein du judaïsme : ils continuaient en effet à appliquer la Loi avec la circoncision et les pratiques alimentaires. Mais certains d’entre eux, Paul en particulier, voulurent proposer la foi en Christ aussi à des non-juifs. Ce faisant, ils ne pouvaient pas leur imposer la Loi juive, en particulier la circoncision, et c’est ainsi que devinrent chrétiens d’anciens païens, n’ayant pas été juifs. Alors s’esquissa le point de départ d’une nouvelle religion, différente du judaïsme. La rupture entre les Juifs disciples de Jésus Christ et les autres se fit donc peu à peu, dans le courant du Ier siècle et au IIème siècle. Elle entraîna des conflits importants et elle ne fut complète et définitive partout que beaucoup plus tard, sans doute après plusieurs siècles.

Article 03

Qui a écrit les évangiles ?

L’expression « évangile selon Matthieu, Marc, Luc et Jean », fait souvent penser qu’un seul homme est à l’origine de chacun de ces textes. On a beaucoup dit que Matthieu et Jean étaient des apôtres de Jésus, que Marc était un disciple de l’apôtre Pierre et que Luc était un compagnon de voyage de Paul. Cette affirmation un peu rapide a au moins le mérite de rappeler que l’origine des textes évangéliques remonte à des personnes de la génération de Jésus. Toutefois, nous devons être conscients que les notions d’auteur et de propriété littéraire étaient absentes de la mentalité des anciens. L’écriture des textes s’est généralement faite en étapes successives, procédant par retouches et ajouts.

Lion ailé symbole de l’évangéliste Marc (chapelle st Michel,

basilique st Julien, Brioude, Haute Loire) (© Françoise Ladouès)


Taureau ailé symbole de l’évangéliste Luc (chapelle st Michel,

basilique st Julien, Brioude, Haute Loire) (© Françoise Ladouès)

Pour approfondir notre connaissance des évangélistes, nous disposons de deux types de sources. D’une part la tradition, avec des auteurs1 qui, dès l’antiquité, ont tenté de reconstituer le chemin emprunté par les paroles et les écrits qui ont abouti aux textes que nous pouvons lire aujourd’hui, d’autre part les textes eux-mêmes : à travers la langue qu’ils emploient, leur style, leur travail littéraire et théologique, leur rapport à la société qui les entoure, nous pouvons mieux cerner qui est à l’origine des textes qui nous sont donnés à lire. Seule la confrontation de toutes les sources (traditionnelles et textuelles) peut permettre d’approcher les auteurs des évangiles. C’est une des tâches des exégètes.


Les quatre évangiles canoniques datent au plus tôt de 70 (pour Marc) et des années 80 (pour Matthieu et Luc), encore plus tard pour Jean. Il est donc fort improbable que des personnes de la génération de Jésus (mort probablement en 30) les aient écrits eux-mêmes. Des communautés de croyants ont composé, rédigé, fait vivre par la catéchèse et la célébration, des textes qui n’ont été écrits sous leur forme définitive que relativement tard, et pour la plupart rédigés en plusieurs étapes.

Il faut donc être clair : oui, la tradition évangélique remonte aux contemporains de Jésus ; non, les évangiles ne sont pas l’œuvre de quatre hommes précis que l’on pourrait nommer et dont on pourrait raconter la vie.


Leur écriture définitive date de la génération qui suit celle de Jésus, voire de la suivante et il est impossible de savoir si la plume de chacun est celle d’un homme ou d’un groupe que, de toute façon, on ne peut connaître avec précision. Ceci doit être présent à nos esprits chaque fois que nous nommons par son nom l’un des évangélistes : plutôt que de penser à une personne, il est plus pertinent de nous intéresser aux communautés où sont nés ces textes et auxquelles ils s’adressent.


1 Nous avons à disposition deux sources traditionnelles essentielles :

   - Papias, évêque d’Hiérapolis en Asie mineure au début du IIème siècle, dont les témoignages sont rapportés par Eusèbe de Césarée dans son « Histoire ecclésiastique »

   - Irénée de Lyon, écrivain chrétien de la fin du IIème siècle, évêque de Lyon, qui se fonde généralement sur Papias. Des recoupements peuvent aussi être faits avec bien des textes de l’Antiquité


Article 02

Jésus a-t-il existé ?

La thèse « mythiste » selon laquelle Jésus n’aurait pas existé est de plus en plus rarement défendue ; elle circule néanmoins. Avancée par certains philosophes depuis la fin du XVIIIème siècle, elle est aujourd’hui largement récusée par les spécialistes de l’Antiquité.

Une rue de Nazareth aujourd’hui (© Françoise Ladouès)

Trois questions principales sont posées par les défenseurs de cette thèse. Est-il vrai qu’aucune source non chrétienne ne parle de Jésus ? Les évangiles sont-ils historiquement fiables ? Enfin Paul, dont les écrits sont très anciens, parle peu de l’homme Jésus et s’intéresse surtout au Christ ressuscité : ne serait-ce pas le signe que le Jésus historique est imaginaire ?


L’historien juif Flavius Josèphe, dans les « Antiquités juives » consacre une notice à « Jésus homme sage ». Ce texte, qui a subi des ajouts postérieurs mais facilement repérables, est considéré comme authentique par les spécialistes. Par ailleurs trois auteurs latins donnent sur Jésus des témoignages indirects : Pline le Jeune, Tacite et Suétone. Même si aucun ne détaille le récit des évènements de Judée au temps de Jésus, celui de Tacite au moins est explicite, attestant à l’époque de l’empereur Tibère un mouvement en Judée autour de Jésus, puis sa condamnation au supplice par le procurateur Ponce Pilate, enfin son exécution (Annales, 15, 44).


Le plus ancien fragment de l’évangile de Jean date de 125, c’est-à-dire trente ans seulement après sa rédaction : précocité rare pour cette époque.

Par ailleurs la multiplicité des attestations littéraires sur Jésus, dans le Nouveau Testament et les évangiles apocryphes, est sans équivalent dans l’Antiquité. Ces documents doivent être traités avec les outils de la critique historique, mais ils sont des sources d’une exceptionnelle ampleur.


Quant à Paul, ses lettres laissent penser qu’il connaissait mieux Jésus qu’il n’y paraît. S’il ne parle pas de ses rencontres, des guérisons ou des paraboles, c’est parce qu’il écrit à des communautés qu’il a rencontrées et qui donc connaissent déjà la vie de Jésus. Son propos est théologique. Il est même christologique. Or son projet théologique est centré sur Jésus ressuscité. Mais, si nécessaire, il fait allusion à la vie de Jésus, par exemple lorsqu’il évoque son dernier repas (1 Cor 11, 23) : il est évident que lorsqu’il écrit : « Le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain… », il suppose connus les évènements de la Passion.


Bibliographie :

Jean-Marie SALAMITO, Monsieur Onfray au pays des mythes - Réponses sur Jésus et le christianisme, Salvator, 2017

Ouvrage informé et scientifique dont le premier chapitre répond à la question de façon très complète

Article 01

L'archéologie contredit-elle la bible ?

Chaque découverte archéologique concernant la Bible enflamme l’opinion publique. Comme si l’archéologie allait dire la vérité là où la Bible nous induit en erreur ! L’archéologie contredit-elle la Bible ? Il faut dénoncer ce qu’il y a de faux dans cette croyance très répandue.

Massada (© Françoise Ladouès)

L’archéologie biblique s’est développée à partir du XIXème siècle. A l’époque, les fouilles étaient conduites par des croyants dont le projet était de vérifier « sur le terrain » l’exactitude des récits bibliques. L’archéologue avait « une pelle dans une main et la Bible de l’autre ». Ce type de pratique induisait forcément des résultats favorables à une croyance dans ce que raconte la bible, au mépris de toute prise de distance par rapport à l’objet étudié.



Au XXème siècle, la science archéologique évolue. A partir des années 1970, la « nouvelle archéologie » fait appel aux sciences de la nature et aux techniques physico-chimique. Les résultats qu’elle obtient montrent les failles de l’archéologie biblique précédente. Cette nouvelle archéologie se veut science indépendante. Les conclusions auxquelles elle aboutit mettent en évidence les graves erreurs dues à une pratique apologétique de la science, c’est-à-dire uniquement destinée à renforcer des croyances. Elles mettent en valeur que les trouvailles de l’archéologie doivent être soumises, comme tout résultat scientifique, à interprétation.

Les discussions des chercheurs autour de ces trouvailles en sont témoins. Elles ne sont en aucun cas des arguments pour des affirmations.



Ainsi, utiliser l’archéologie pour prouver ou au contraire nier l’exactitude de tel ou tel épisode de la Bible, c’est rester dans une démarche de pensée qui ne peut la concevoir autrement que comme un livre d’histoire. En revanche, l’archéologie montre que l’exactitude historique n’était pas le propos des rédacteurs bibliques. Les interprétations des données archéologiques confrontées à celles des textes bibliques doivent permettre un réel travail critique. Une source ne parle pas ; c’est l’homme qui, par des méthodes scientifiques précises, lui permet de révéler quelque chose du passé. Les découvertes ne prouvent rien par elles-mêmes ; seuls les archéologues et les historiens leur permettent de participer à l’avancée de la connaissance.

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